Philomène s'interroge: -"Le jour est levé depuis un moment mais j'ai mal dormi. Une sensation étrange que l'on me marchait sur la tête et des petits bruits bizarres m'ont accompagnée toute la nuit... Hum, cette vieille maison est comme une vieille carcasse, elle craque par toute son ossature en bois!" Philomène se décide, quand même, à sortir de son lit, enfile un peignoir et descend les escaliers pour se rendre dans sa cuisine afin d'y prendre un bon petit déjeuner pour mieux commencer la journée.
Philomène habite une maison ancienne faite de bois et de torchis, un mélange d'eau, d'argile et de paille venant cloisonner le bois. Ces maisons-là ont presque toutes disparues du paysage, emportées par la vague béton, délaissées par un manque de savoir-faire, avalées par le feu! Mais quelques unes subsistent aux faubourgs de certaines villes, tiennent encore debout, témoignage d'un passé révolu. Celle de Philomène n'est pas toute seule dans sa rue, elle se relie avec une autre et puis encore une autre donnant à ce quartier un aspect suranné, couleur sépia.
La maison de Philomène n'est pas grande. Elle est composée de petites pièces étalées sur deux étages avec chambres, salon et grenier. Mais elle a beaucoup de charme et possède aussi une jolie petite cour où s'étale, à loisir, un grand acacia.
Philomène s'est attablée dans sa cuisine et se bichonne un peu avec un bon bol de café et des tartines de pain beurré qui la réconfortent de sa mauvaise nuit passée. -"Quelle nuit étrange! je me demande ce qui a bien pu me donner cette impression, ce n'est tout de même pas les noix que j'ai achetées ces derniers temps au marché qui roulent toutes seules dans le grenier! Bon, il va falloir que je tire cela au clair mais en attendant il faut que je me mette au travail, je règlerai ce problème plus tard."
En fait, Philomène se sert souvent de son grenier pour conserver des fruits , telles des poires ou des pommes à l'automne et, bien évidemment, des noix qui sont souvent vendues encore humides donc elle les étale et les fait sécher dans son grenier. Mais cette situation est une manne pour quelqu'un d'autre!
Dans "la famille Loir" demandez le "fils", c'est le plus dégourdi de toute la portée et il n'a pas son pareil pour dénicher de bonnes trouvailles. C'est lui qui a découvert la maison de Philomène. A la tombée de la nuit, la famille Loir sort pour partir à la recherche de la nourriture qu'elle va engranger pour l'hiver car Monsieur Loir hiberne très longtemps, d'octobre à avril, (c'est pour cela que l'on dit "dormir comme un loir"!) il lui faut donc beaucoup de réserves pour résister à cette longue période. Alors quand le fils Loir pénètre, une nuit, dans le grenier de Philomène c'est comme rentrer dans la caverne" d'Ali Baba"!
Il a d'abord visité le grenier de la voisine mais là rien de rien, pas même une petite pomme desséchée, mais il ne s'est pas découragé. Il a poursuivi son expédition et là, chez Philomène ce fut la révélation, le trésor absolu : étalées sur une bonne partie du grenier, de bonnes grosses noix séchent et attendent d'être mangées! Le fils Loir, pendant quelques instants, n'en croit pas ses yeux. Il est comme étourdi par tout ce qu'il voit. Son met préféré est là, répandu devant lui, comme par magie. Il est comme tétanisé par toute cette abondance! Mais, l'effet de surprise passé, il se met à siffler, à crier, afin de rameuter toute la famille dans le grenier de Philomène car on ne sera pas de trop pour ramener tout ce trésor en lieu sûr.
Et voilà toute la famille qui se précipite: le père, la mère, et les trois autres frères. -"Oh! la la quelle aubaine, mon fils, tu es vraiment le plus fort!" -"Oui, bon d'accord mais là il faut se dépêcher car sinon nous n'aurons pas assez de la nuit pour transporter tout cela jusque chez nous."soupire le fils Loir.
Ignorant tout de cette effervescence, Philomène travaille dans son café au rez de chaussée. Elle aussi s'active car c'est l'heure où tout le monde afflue. Entre la sortie des cinémas et les gens qui viennent prendre un dernier verre avant de rentrer chez eux, il y a beaucoup de bruit. Philomène est très occupée. Elle ne risque pas, pour l'instant, d'entendre la famille Loir s'affairer avec ses noix!...
Pendant ce temps-là, les petits rongeurs, au complet, s'évertuent à faire rouler les noix entre leurs pattes. Le fils Loir a réparti chacun des membres de la famille sur un parcours allant du grenier de Philomène à leur nid. Une vraie organisation militaire et cela fonctionne parfaitement! Tout ce petit monde est en marche, s'active, se hâte et les noix roulent, roulent jusqu'au nid situé dans la cour, près du grand acacia.
C'est l'heure pour Philomène de fermer le café. Quelques clients s'attardent encore un peu, pendant qu'elle débarrasse le comptoir, puis c'est l'extinction des feux. Tout le monde sort. Philomène ferme à double tour et tire les rideaux. Le silence se fait petit à petit. Philomène se prépare à aller se coucher. Elle lira, sûrement, quelques pages de son livre pour trouver le sommeil, pour retrouver l'apaisement.
-"Allez, allez, dépêchez-vous! C'est bientôt terminé. En plus, la maison est, à nouveau, silencieuse, la propriétaire risque de nous découvrir au milieu de son grenier! Il faut faire vite pour ramasser les dernières noix!" s'écrie le fils Loir. Toute la famille Loir est épuisée. Faire rouler toutes ces noix en une soirée c'est de la folie!
-"Attendez!"dit le fils Loir. La famille Loir se fige. -"Que va-t'il encore trouver?" dit l'autre frère au bord de l'épuisement. -"Nous allons laisser une noix, bien en vue, au centre du grenier. Ce sera comme un clin d'œil à la propriétaire. Pour qu'elle sache qu'elle n'a pas la" berlue" et qu'elle avait bien acheté des noix au marché! Allez , on s'en va et salut à toi, Philomène, la famille Loir te remercie!!"