Le petit coeurdonnier partie 1

Il était une fois dans la bonne ville de Pamiers en Ariège, un petit cordonnier savetier fatigué et lassé de ne plus avoir à réparer que de vieilles « graules ». Plus aucune commande de chaussure sur mesure. Pas le moindre sabot à tailler dans un beau et solide bloc de bois. Que du « pétassage », juste du raccommodage. Que de la ficelle, un peu de colle, une once de cirage à utiliser. Plus de mesure des pieds à prendre, plus de découpe dans une belle peau, bien tannée, plus d’assemblage grâce à d’harmonieuses coutures, plus de lacets, finement tressés.

En ce début du XXI ème siècle, de plus en plus rares étaient ceux qui portaient encore des sabots et des savates. Même dans les campagnes les plus reculées, le caoutchouc et le plastique remplaçaient depuis bien longtemps le bois dur des sabots que l’on garnissait de paille pour les rendre moins rudes aux pieds.

Le petit cordonnier savetier de Pamiers, assis bien droit malgré ses soucis et son âge avancé, à cause de la laideur du monde qu’il voyait poindre jour après jour, perdait peu à peu son entrain. Sa bonne humeur légendaire connue au-delà des portes de la petite ville ariégeoise, lentement sans même qu’il en prit vraiment totalement conscience, laissait poindre une grande lassitude et une immense tristesse. Il ne chantait, ni ne sifflotait plus, son dos se voûtait là, sur son tabouret.

Un jour, personne ne poussa plus la belle porte de son échoppe. Puis encore un autre jour et encore un troisième, puis un quatrième, un cinquième, un sixième. Le petit cordonnier ne sifflait plus, ni ne chantait pas non plus.

Au septième jour de silence et d’absence de clients poussant la porte de son échoppe, notre petit cordonnier, le soir venu, comme tous les soirs de sa longue vie, accrocha les lourds volets de bois de sa boutique. Puis il rentra, s’assit sur son escabeau mis sa tête chenue dans ses mains tavelées et rugueuses, et pleura à chaudes larmes, en silence. Son cœur était brisé de chagrin…

Aussitôt, au plus profond de son esprit, cette sensation irrépressible de cœur brisé se forma, telle que ses larmes s’arrêtèrent de ruisseler le long de ses joues. « Coeurdonnier, Coeurdonnier, Coeurdonnier » la, la, la, lalère !!!

Voilà, si personne n’avait plus besoin de lui pour fabriquer de belles chaussures, capable d’affronter la pluie, la boue des chemins, les pierres des sentiers, face à la noirceur du monde qui commençait nettement à se dessiner autour de lui, lui le petit cordonnier savetier de Pamiers allait se transformer en Petit « Coeurdonnier ». Il était adroit de ses deux mains, sensible aux problèmes de ses semblables. Elle était la solution à tous ses maux. Apaisé notre vieil homme se coucha, rasséréné.

Dès le lendemain au huitième jour il se leva sifflotant et chantant. Il sortit le nez levé devant sa boutique et aussitôt dit, aussitôt fait il s’empressa de transformer l’enseigne de son échoppe. Il n’y avait d’ailleurs pas grand chose à changer. De cordonnier à Coeurdonnier, peu de lettres à modifier. Pour rendre encore plus jolie l’enseigne de sa nouvelle boutique, il rajouta des fleurs de plusieurs couleurs vives, autour des lettres. Cela donnait à l’enseigne des airs d’enluminures.

Une fois cette tâche accomplie, il repeint sa devanture avec des couleurs vives, il astiqua soigneusement toutes les vitres, puis il rentra. Il n’avait pas fini les préparatifs à sa nouvelle activité. Au plus profond de son vieux cœur usé et rapiécé, il savait bien que cela allait marcher. Mais fallait se faire connaître. Faire savoir qu’il avait changé de métier. Notre doux et sage ami le nouveau petit « Coeurdonnier » de Pamiers, revêtit son plus beau costume, prit sa plus belle plume et d’une fine et longue écriture, rédigea l’annonce annonçant l’ouverture de sa « Coeurdonnerie ».

D’un pas et d’un cœur léger, il apporta son annonce au siège du journal local « Le Midi Ensoleillé ». Il paya ce qu’il devait et tout aussi légèrement il repris le chemin de sa boutique de petit « Coeurdonnier ». Un jour, puis un deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième, un sixième, un septième aucun cœur ne vînt à sa porte pour bénéficier des soins de notre petit « Coeurdonnier » un peu inquiet. Il se coucha en se répétant, que c’était impossible que cela ne marche pas. Cela devait marcher, foi de cœur de petit « Coeurdonnier ».

Au matin du huitième jour, il se leva, ouvrit en grand la porte de la boutique, décrocha tous les volets fraîchement repeints, faisant entrer en gerbes éclaboussasses la lumière du soleil. Au soir de ce même huitième jour, rien de rien, pas le moindre petit bout de cœur à l’horizon rapproché de la rue. Notre nouveau petit « Coeurdonnier » de Pamiers, un peu découragé, se leva de sur son tabouret, se préparant comme il l’avait fait tout au long de sa longue vie, à refermer son échoppe.

Au moment où il refermait sa belle porte de chêne, il perçut un petit grattement, suivi d’un imperceptible soupir. Doucement il entrebâilla l’huis et là, entrecroisés l’un dans l’autre, entrecroisés et blottis, il vit deux cœurs tracés au rouge à lèvres sûrement d’une main tremblante. Aussitôt il comprit la situation. En les prenant délicatement au creux des paumes ​assemblées ​de ses deux mains noueuses, il se dit : « ils sont tombés d’un miroir, et traînés jusqu’ici ». Point d’explication supplémentaire à demander. Il n’était pas là pour juger d’une histoire qui n’était pas la sienne.

Suite de cette histoire dans la deuxième partie...

Fin

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