L'ogre sans coeur

Oyez oyez, gentes dames et damoiseaux ! Laissez-moi vous conter l’histoire de l’ogre de barbarie, l’ogre sans coeur, l’ogre terrifiant petits et grands des royaumes de la terre !

L’ogre de barbarie était très grand et très fort. Il était habillé d’une épaisse armure et ne se déplaçait jamais sans son lourd gourdin aux pics aiguisés. Il vivait seul dans les bois sombres et noirs. Depuis quand hantait-il les lieux ? Nul ne le sait. Il harcelait les villageois, abîmait leurs champs, croquait quelques enfants de temps en temps.

Il détruisait des forteresses, malmenait rois et seigneurs, faisait régner un climat de peur. Braves chevaliers et hommes vaillants, personne n’en était venu à bout.

Un jour, l’ogre eût faim. Il n’était pas loin du Royaume d’Agapé et aperçut une jeune enfant en train de jouer dans la cour du château. C’était la fille du Roi, la princesse d’Agapé.

L’ogre la captura sous les yeux effrayées des nourrices impuissantes et l’amena chez lui, dans son antre lugubre. « Miam, je vais la préparer pour mon dîner » pensa l’ogre. Mais tandis qu’il découpait carottes et oignons, la petite fille s’approcha de lui. Elle ne semblait pas avoir peur.

Et le plus improbable se produisit : elle enlaça l’ogre de ses mains potelées, le sourire aux lèvres et les yeux rieurs.

L’ogre en fut comme pétrifié de stupeur. Sous son épaisse armure, il découvrit qu’un petit quelque chose se mettait à battre tout doucement puis de plus en plus fort. L’ogre réalisa qu’il avait un coeur, un coeur qui pouvait aimer.

Il lui était impossible de manger la petite fille maintenant. Et il avait peur de la rendre au Roi. Que lui arriverait-il ? Prenant son courage à deux mains, il décida de se rendre malgré tout au Royaume d’Agapé. « Si le Roi m’accorde sa faveur et me pardonne, je m’engage à le servir… Mais si je dois mourir à cause du mal que j’ai causé, et bien, je mourrai… » se dit l’ogre.

L’ogre s’approchait lentement des grilles du château, tenant par la main la princesse qui sautillait à ses côtés. Le coeur qu’il venait tout juste d’avoir lui semblait bien lourd à présent. « L’ogre est là, l’ogre est là ! » crièrent les habitants du château, effrayés. « N’ayez pas peur ! leur répondit-il, je ne viens pas pour vous faire du mal, je vous ramène la princesse ».

Tout le royaume ne sut que dire. L’ogre était-il dans son état normal ? Le Roi lui demanda la raison de ce changement. « J’ai appris à aimer, c’est grâce à la princesse » répondit l’ogre maladroitement.

Les habitants furent tout émus et le Roi pardonna à l’ogre. Il le chargea de protéger son Royaume et la princesse. L’ogre lui en fut pour toujours reconnaissant, et son coeur, depuis ce jour, ne cessa jamais de battre et d’aimer. Désormais, gentes dames et damoiseaux, n’ayez pas peur de l’ogre, mais embrassez-le plutôt… qui sait si vous n’entendrez pas son coeur battre comme le votre !

Fin

*}