Il était une fois un petit garçon nommé Paul mais souvent, on l'appelait Polochon ! Ça le rendait triste, bien sûr. Mais il n'osait pas répondre quand on l'appelait comme ça car il était très timide. Il rougissait souvent, quelquefois même, il bafouillait.
Il vivait avec ses parents qui étaient très gentils mais aussi très occupés. Ils avaient mille problèmes à régler. En effet, ils tenaient un commerce, une boucherie. Paul n'aimait pas cet endroit, il détestait voir la viande qui pendait aux crochets et ne supportait pas les odeurs de sang et la vue des énormes couteaux.
Il avait un peu honte d'amener un copain chez lui car il fallait passer par la boutique pour se rendre à l'appartement. C'est pourquoi, lorsqu'il rentrait de l'école, il traversait la boucherie très très vite et se réfugiait dans sa chambre. Bien sûr, il avait de nombreux jouets, il pouvait regarder la télévision, mais il se sentait bien seul, ses parents ne rentrant que très tard chez eux. Le soir, ils étaient si fatigués qu'ils lui disaient de se brosser les dents et de coucher tout de suite. Ils n'étaient pas méchants, non, mais peu disponibles.
Alors, Paul s'ennuyait et il était souvent assez triste.
Un jour, Adèle, sa voisine à l'école avec laquelle il parlait un peu lui dit : « chic, ma mamie vient me chercher , elle m'emmène au cinéma, et après on ira manger des gaufres au parc. C'est trop top ! Quelle chance ! Se disait Paul. Lui-même n'avait ni mamie ni papi. Ses parents remarquèrent qu'il était bien maussade.
Alors, il leur parla de sa solitude et leur demanda comment trouver une mamie.
Très étonnés par cette demande et attristés pour leur fils, ils se mirent à réfléchir.
Ils pensèrent alors à une dame qui venait régulièrement à la boucherie : Madame Bébert.
C'était une dame âgée plutôt alerte, souriante, polie, qui se sentait seule, leur avait-elle confié entre deux escalopes. Elle n'avait pas d'enfants, c'était, disait-elle, « le drame de sa vie ». Ils lui proposèrent alors de s'occuper de Paul le mercredi après-midi. Madame Bébert se montra très enthousiaste à l'idée de rencontrer Paul.
Les présentations eurent lieu le lendemain autour d'un plat de charcuterie. Paul et la mamie étaient ravis et l'on décida qu'ils se retrouveraient le mercredi après-midi chez Madame Bébert. Celle-ci vivait à deux pas de la boucherie, dans un immeuble, au deuxième étage.
Paul frappa à la porte, tout en souriant à l'idée de revoir cette mamie. Quelle en fut pas sa surprise lorsque la porte s'ouvrit avec fracas : l'intérieur de l'appartement était très sombre, ça sentait mauvais De plus, madame Bébert était bien différente : les bras croisés, raide comme une statue, les lèvres pincées, les sourcils froncés, un air revêche. Quel accueil ! Le sourire de Paul s'effaça aussitôt. Elle le prit par l'épaule et le fit entrer avec rudesse.
« Allez, viens par là, c'est fini la rigolade. Tu vas en baver à présent : en premier, tu feras la vaisselle.
Celle-ci formait un énorme tas dans l’évier de la cuisine et semblait très sale, presque répugnante. Ensuite, y'a la poussière des meubles à enlever (il faudrait être myope pour ne pas la voir), puis tu laveras par terre (indispensable, tellement ça colle aux chaussures!). Bref, cette dame qui avait l'air si charmante et « propre sur elle » était une souillon à la maison.
Paul était consterné. Il n'osait pas s'enfuir, cependant, car il avait peur de cette étrange « bonne femme » qui martelait le sol avec sa canne et le traitait de tous les noms : « gros fainéant, pomme de terre pourrie, sale vaurien... ».
Elle disait des gros mots et tirait la langue.
Et puis aussi :« Tu n'auras pas de goûter, tu es assez gras ».
En fait, c'était une mamie très très méchante, qui n'aimait pas les enfants et se défoulait sur Paul. Elle avait bien caché son jeu en se faisant passer pour une vieille dame adorable !
Quand Paul revint à la maison, il n'osa rien dire pour ne pas décevoir ses parents. Et puis, il avait encore peur de madame Bébert qui l'avait menacé : « si tu dis quoi que soit, je te coupe les oreilles ».
« Tu as passé une bonne journée, « lui demandèrent ses parents ? « Oui, bien sûr ». répondit Paul.
« Tu pourras y retourner mercredi prochain ». Paul avait une boule au ventre. Il pâlit, il avait les jambes en coton. « Ça ne va pas ? Mon chéri, lui demanda sa maman. « J'ai mangé trop de bonbons je crois, je vais aller m'allonger, ce n'est rien ».
« Oups, que faire ? », s'interrogeait-il à présent, allongé sur son lit. Il réfléchit longtemps, en se retournant, agité, dans son lit mais il ne trouva pas de solution et, au final, comme il s'était endormi, il fit des cauchemars affreux.
Le mercredi suivant, il partit donc chez madame Bébert, le cœur lourd et pas très rassuré. Or, comme il montait l'escalier, il aperçut un vieux monsieur au deuxième étage, qui ouvrit sa porte à son passage. « Bon ! Comment t'appelles-tu ? Quel bon vent t'amène ? ».
Paul répondit très vite et prit le temps de contempler cet homme qui lui parut bien original : très grand, une barbe rousse, la pipe à la bouche, de petits yeux bleus expressifs, un sourire aux lèvres et surtout en tenue de capitaine de navire.
« Alors ainsi », dit-il avec sa grosse voix, « tu vas voir la vieille bique du deuxième, la rombière, le sac d'os ? Elle a toujours une petite barbe ? ». Paul n'en croyait pas ses oreilles et il avait envie de rire. L'homme lui expliqua qu'il était un ancien commandant de la marine marchande, capitaine de navire quoi, et qu'il s'appelait Monsieur Tempête. Il éclata de rire et lui souhaita un bon après-midi, lui faisant un clin d'œil !
Paul vécut un après-midi d'enfer avec la vieille dame et ce fut encore pire que la dernière fois. Elle était très énervée, frappait le parquet avec sa canne, criait très fort.
Lorsqu'il put enfin partir, il s'enfuit presque et descendit l'escalier à toute vitesse. Au premier étage, le capitaine était devant sa porte et l'attendait. Paul s'arrêta et put apercevoir l'intérieur de son appartement : les murs bleus, des photos de bateaux, des tableaux marins, des objets insolites comme des ancres, des boussoles, des cartes...disposés sur tous les meubles.
Le capitaine fronça les sourcils et lui dit alors : « J'ai entendu la vilaine sauterelle crier et taper sur le parquet avec sa canne, que se passe-t-il, Paul? ».
Alors Paul expliqua tout au capitaine: les mots méchants, les punitions, les corvées, les brimades, la peur d'en parler à ses parents et de les décevoir. Plus il parlait, plus le capitaine rougissait de colère.
« C'est inadmissible. Je vais aller lui parler et lui chauffer les oreilles », lui dit-il. « Non, je vous en supplie », dit Paul. « Elle risque de se venger sur moi ou mes parents ».
Le capitaine se massa le front et réfléchit. « D'accord, mais j'ai une idée. Laisse moi faire, je m'en occupe, sans violence, ne t 'inquiète pas. Elle ne te terrorisera plus jamais, foi de capitaine ».
La nuit venue, il monta à l'étage et mit de la pâte à modeler dans la serrure, la laissa durcir et la ressortit délicatement. Il fit faire une copie de la clé dans un magasin. Le lendemain, il attendit qu'il fasse nuit et monta à nouveau au deuxième étage. La clé s'introduisit parfaitement dans la serrure et il entra furtivement chez la vieille dame.
Il déclencha alors des sons effrayants qu'il avait enregistrés sur son téléphone : hurlement du loup, feulement du tigre, rugissement du lion. Ses pas faisaient craquer le plancher.
Il avait mis un drap sur lui pour se transformer en fantôme et avec un rire dément, il alla dans la chambre et se pencha au-dessus du lit. Madame Bébert, alertée par tous ces bruits, se réveilla totalement, terrorisée, pâle, tremblante.
Elle poussa un cri d'effroi et le capitaine partit très vite, pendant qu'elle se cachait sous l'édredon d'où elle ne bougea plus jusqu'au lendemain matin, trop effrayée ! « J'ai eu si peur » se dit-elle. « Je deviens folle, je ne veux plus avoir aussi peur ».
Le jour même, on la vit descendre l'escalier avec un petit sac de voyage, elle rasait les murs, elle était blanche comme un linge.
« Bonjour Madame Bébert », dit le capitaine, sorti sur le palier.
« Que se passe-t-il, vous partez en voyage ? »
« Je vais à Tartafouille-les-Galettes, le village où je suis née, j'ai une petite maison là-bas et je vais y rester définitivement. Je vais louer mon appartement à Paris, c'est une agence qui s'en occupera. Je ne reviendrai plus jamais. Adieu Monsieur. »
Le capitaine fit une petite courbette. Il avait envie d'hurler de joie !
Le mercredi suivant, le petit garçon revient. L
e capitaine l'attendait et lui dit d'entrer chez lui. « Je vais t'expliquer ce qui s'est passé ».
Il lui raconta comment il avait effrayé la vieille dame. Paul était plié en deux de rire et le capitaine lui aussi riait de bon cœur en faisant des grands gestes pour mimer l'épisode du fantôme.
Ils passèrent l'après-midi ensemble. Le capitaine lui racontait ses voyages, ses aventures, lui montrait tous les trésors qu'il avait ramenés de ses expéditions. Puis ils goûtèrent et jouèrent aux dames, aux devinettes...Paul n'avait jamais passé un aussi bon moment.
Il était gai, souriant, heureux. Il expliqua au capitaine pourquoi et comment il en était venu à fréquenter Madame Bébert.
Alors le capitaine lui dit : « si tu es d'accord, tu peux venir tous les mercredis chez moi. On pourra aussi aller au parc, visiter un musée, (celui de la marine, bien sûr), si tes parents sont d'accord évidemment ».
Le soir, excité, il raconta tout à ses parents, cela prit beaucoup de temps mais ils étaient ravis de voir leur fils épanoui. Bien entendu, ils furent très surpris par la véritable personnalité de la vieille dame qu'ils trouvaient si gentille ! Ils donnèrent leur accord et rencontrèrent le capitaine : la visite se passa très bien. Paul est ravi : il passe tous les mercredis après-midi avec le capitaine et ils s'entendent parfaitement. Ils s'aiment énormément.
Finalement grâce à cette mamie très très méchante ; il a pu faire une belle rencontre, celle d'un papi merveilleux !